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Un « éléphant dans un magasin de porcelaine » ?

Étienne FOUILLOUX, Eugène cardinal Tisserant – une biographie, DDB, 2011, 718 p

L’Eglise de France compta au siècle dernier peu de cardinaux de Curie : Eugène Tisserant (1884 – 1972) fut certainement, avec le cardinal Villot, le plus important d’entre eux et celui dont la trace est restée la plus profonde, sanctionnant plus de soixante ans de présence romaine au service de six Pontifes. Prince de la Renaissance, amateur de pouvoir, d’intrigues et de côteries ? Ou, comme le décrivait l’ambassadeur de France auprès du Vatican en 1940, « éléphant dans un magasin de porcelaine », exotique et trop peu diplomate pour ne pas détonner dans une cour pontificale confinée et trop italienne (p.292) ? Eminente par devoir d’état, ombrageuse et redoutée pour sa franchise bourrue, placée par sa longévité, sa nationalité et ses innombrables missions en position de confiance ou d’influence, la figure du cardinal lorrain a longtemps nourri les mythographies vaticanes scabreuses. Pour le bonheur de la connaissance, et après une première série de travaux partiels sous l’égide de l’Institut catholique de Toulouse, les archives privées inépuisables qu’il a laissées ont trouvé avec Etienne Fouilloux un historien à leur mesure, à même de peser et de nuancer, en fécondant toutes les pistes : l’homme ne se laisse en effet ni classer, ni même facilement résumer. Doyen du Sacré Collège (1951) et un temps deuxième personnage de l’Eglise, dont il fut l’un des plus grands commis, Tisserant est ainsi retrouvé dans sa spiritualité salésienne robuste, sa charité, son indépendance trempée, sa puissance de travail et son rare équilibre de dons, intellectuels et pratiques. Demeuré résolument français, le prélat sert aussi volontiers, parfois à ses dépens, de relais à ses compatriotes, ne laissant rien ignorer pendant la guerre de son antinazisme, et se liant assez avec la résistance pour être surnommé le « cardinal de Gaulle ». Mais le même fut aussi un évêque italien, pasteur très attentif et fort entreprenant du petit diocèse suburbicaire de Porto et Santa Rufina (1946-1966). S’il témoigne des dysfonctionnements et des archaïsmes d’une Curie préconciliaire et pénurique, le cas Tisserant, par cet entrelacement de vies globalement réussies, peut aussi servir de défense et illustration au cumul des charges ! Tout se lit donc avec passion, des chapitres consacrés au jeune ecclésiastique ordonné en 1907 et promis à une carrière de bibliste et d’orientaliste, mais aussitôt appelé à Rome par Pie X pour y enseigner l’assyrien, à ceux plus crépusculaires où le Cardinal atteint par la limite d’âge doit rendre l’une après l’autre ses fonctions dans un douloureux lâcher prise. La tourmente moderniste qui accompagne sa formation n’ébranle pas son sang-froid, malgré son profil de spécialisation érudite particulièrement exposé : un passage par l’Ecole biblique de Jérusalem le rattache à « l’école exégétique large » illustrée par le Père Lagrange, le tenant à distance des positions extrêmes. À l’autre bout de sa vie, le Concile, dont il a présidé la Commission préparatoire, et la crise postconciliaire qui coïncide avec son retrait, le trouvent las et pessimiste mais tout aussi modéré, exerçant ses dernières charges dans le sens d’un aggiornamento contrôlé. Mais c’est avec les pontificats de Pie XI et de Pie XII que cet adepte du « progrès dans l’ordre » donna toute sa mesure : benjamin du Sacré Collège en 1936 après avoir réussi la rénovation de la Bibliothèque vaticane, Tisserant reçoit de Pie XI qui fut son ami et son mentor le secrétariat de la Congrégation pour l’Eglise orientale (1936-1959) et la présidence de la Commission biblique (1938). Les deux charges sont confirmées par Pie XII, malgré une moindre empathie réciproque : en travaillant à libérer l’exégèse des chaînes du fondamentalisme, et en protégeant les catholiques d’Orient placés sous sa juridiction des tentatives de latinisation, Tisserant fait fructifier ce qu’il avait reçu dans sa jeunesse du Père Lagrange ou de l’abbé Portal dont il avait fréquenté le cercle unioniste. Sa géopolitique très romanocentrée tend certes fréquemment à confondre l’islamisme, le nazisme et le communisme comme autant de modalités du totalitarisme ; mais Tisserant fut aussi le précurseur d’une Eglise « respirant avec ses deux poumons », occidental et oriental, présents dans sa devise cardinalice, et sa conscience ecclésiale exigeante sut se heurter filialement à Pie XII, lorsqu’elle le jugea pusillanime (p.296). Supposée « monolithique », la Rome préconciliaire reste souvent l’objet d’une caricature : cette biographie sans équivalent disperse cette impression sommaire, qui a su retrouver, sous les rouages et l’appareil, la vie, la liberté, la conscience, le coefficient personnel d’un grand serviteur de l’Eglise.

Michel Fourcade

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