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Jean-Luc Marion : Courbet, ou la peinture à l’œil

(Flammarion, 2014)

Ce que la phénoménologie a à faire voir, la peinture parfois le montre. Il ne manque souvent que nos yeux pour aller à la rencontre du visible ou être à sa fête. Voir, cette activité la plus innocente de toutes, nous serait-elle à ce point inconnue, que nous ne sachions nous y livrer ? On ne s’étonnera pas que la pensée (la phénoménologie) ait trouvé ses ressources chez les peintres, eux qui sont tout à leur affaire dans le fait de voir, et de montrer, ce qui bien souvent se dérobe au regard commun. Par exemple, il y a Cézanne, et Courbet. Du premier on se souviendra de cette déclaration dont Derrida fit le titre d’un ouvrage de 1978 : « je vous dois la vérité en peinture », mais les travaux, et les bons travaux (Merleau-Ponty, Maldiney), ne manquent pas pour que nous nous en souvenions. Sur le second, nos bibliothèques étaient à ce jour plus pauvres. Leur rapprochement pourtant n’est pas arbitraire (et ne l’est pas en tout cas pour qui a vu le dernier film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, leur dernier film tourné ensemble, Une visite au Louvre (2005), avec ses longs plans fixes sur Un enterrement à Ornans et le commentaire tiré des conversations de Cézanne). Aussi apprendrons-nous de Courbet comme nous avons appris de Cézanne, et comme nous y invite aujourd’hui le dernier livre de Jean-Luc Marion : « Courbet et Cézanne ont perçu que la vérité ne se montre jamais autant qu’en peinture – du moins qu’en leur peinture » (p. 161).
La leçon du peintre est des plus simples, donc des plus difficiles : il s’agit de voir et seulement de voir, là où toute l’affaire est de devenir un œil et rien qu’un œil. Cela est vrai quand le peintre s’appelle Courbet – ce que relève tel propos d’Ingres cité et commenté p. 22-24 : « Ce garçon-là, c’est un œil ». Vrai quand il s’appelle Cézanne – comme le rappelle Merleau-Ponty dans un article sur « Le doute de Cézanne » moins décevant que ne le dit la note de la p. 185 : « Puis il ne bougeait plus et regardait, l’œil dilaté, disait Mme Cézanne » (Sens et non-sens, Gallimard, 1996, p. 22). Vrai de Monet déjà – même si le mot de Cézanne suppose de lui donner un autre sens : « Monet ce n’est qu’un œil, mais quel œil ! » (cité et commenté dans Henri Maldiney, Ouvrir le rien. L’art nu, Encre marine, 2000, p. 163 et 434). Et vrai peut-être déjà de Manet – si l’on songe au médaillon que lui consacre Mallarmé : « Souvenir, il disait, alors, si bien : “L’œil, une main…” que je ressonge » (Œuvres complètes, édit. Marchal, Pléiade, t. II, 2003, p. 147) comme si l’œil commençait d’être tout (Mallarmé, cité ici p. 134 pour une autre page sur le même Manet). Mais revenons à Courbet. Il s’agit bien de voir, dans la réduction de tout savoir portant sur l’objet – une anecdote bien des fois citée par Henri Maldiney , et reprise ici p. 25 sq., le montre magnifiquement : « Rappelez-vous Courbet et son histoire de fagots. Il posait son ton, sans savoir que c’étaient des fagots. Il demanda ce qu’il représentait là. On alla voir. Et c’était des fagots » (J. Gasquet, Cézanne, Encre marine, 2003, p. 264). Encore faut-il que l’opération se redouble d’une réduction du sujet – le retrait du peintre devenant alors condition de la libération du visible (p. 83), sa neutralisation étant le prix à payer pour laisser monter au visible ce qui n’avait encore jamais été vu (p. 95). Réduction, ce maître-mot de la phénoménologie trouve donc dans la peinture, et dans cette peinture, son exercice rigoureux.
Ce qui se montre de soi-même (le phénomène) n’avait donc besoin pour se lever, pour monter de l’invu au visible, que (de la réceptivité) d’un œil – encore fallait-il qu’il soit cet œil de peintre.

Jérôme de GRAMONT

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