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Distribution : HACHETTE | Diffusion : Réginald Gaillard | gaillard.reginald@gmail.com

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Highway 61 Revisited : une allégorie de la tradition

Martin Scorsese, No Direction Home : Bob Dylan, 2005 (DVD Gaumont éd.)

Dans No Direction Home, documentaire consacré à Bob Dylan, Martin Scorsese a repris de longues images de la tournée houleuse du chanteur après la sortie de son album Highway 61 Revisited. Aux Etats-Unis, en Angleterre, il se fait huer, comme à Manchester lorsqu’un spectateur crie « Judas ! ». Dylan répond : « Je ne te crois pas, tu es un menteur ! », et de jouer Like a Rolling Stone. Cette longue tournée est comme la répétition incessante de la rupture fondatrice, véritable Hernani de la musique rock, ce dimanche 25 juillet 1965 où, sur la scène du festival de Newport (Rhode Island) devenu en quelques années le rendez-vous des jeunes Blancs aspirant à un retour aux sources « pures » de la démocratie américaine, la légende décrit « le pape de la protest song » électrifiant sa musique, se métamorphosant du meilleur avatar de Woody Guthrie en l’archétype énigmatique du chanteur rock. Le critique et historien de la culture américain Greil Marcus nous invite à revenir aux sources de cette rupture, en nous plongeant dans l’Amérique des années 60, et en nous amenant à nous interroger sur ce qu’est une fondation, une tradition, une trahison. Bien sûr, dans la lignée de son autobiographie, Dylan, sous le regard de Scorsese et la plume de Marcus, se débarrasse de l’auréole du chanteur engagé qui chanta après le fameux discours de Martin Luther King à Washington, du guide de la « Renaissance Folk », chantre de la misère populaire noire et blanche réunie, de l’Amérique (idéalisée) de la Grande Dépression au temps de la Société de Consommation : comme le montre Greil Marcus, la musique traditionnelle s’apparente alors à un « rêve de paix et de retour au pays natal dans un pays en plein chambardement », qui devient concevable grâce à la « pureté et la bonté de cœur essentielles » de tous ceux qui l’écoutent et l’interprètent. Toute la gauche américaine semble alors renaître de ses cendres, “We Shall Overcome”. Et voilà que Dylan livre le tohu-bohu de Like a Rolling Stone, faisant exploser la mythologie du village égalitaire, optant pour le symbole même du capitalisme (le parti communiste britannique enverra des fidèles siffler Dylan pendant la tournée de 66) : la guitare électrique, le groupe de rock mercantile. Dans le film de Scorsese, Dylan nuance la réalité de l’irruption électrique : « Like a Rolling Stone était sorti, passait à la radio et j’avais commencé de toute façon en jouant de la musique électrique, bien avant l’avènement de la scène folk », en fait dès 1962. Mais peu importe, la légende ne ment jamais totalement : il suffit de changer son sens. En fait de trahison, ce que Scorsese et Marcus montrent est que le propos de Dylan était tout autre, et que 1965 fut seulement une pierre jetée un peu plus loin. Pour Dylan, « le folk se fonde seulement sur la mythologie, la Bible, la peste, la famine et toutes sortes de trucs du même genre, des trucs complètement mystérieux qu’on retrouve dans toutes les chansons. Des roses qui poussent dans le cœur de quelqu’un, des types nus dans un lit avec une lance plantée dans le dos, sept ans d’une chose et huit ans d’une autre, et personne n’en a la clé bien entendu. » Rien d’idéologique là-dedans, mais une réelle poétique de l’Amérique tragique. Les chansons de Dylan se saisissent de faits du quotidien, et passés au prisme d’un biblisme populaire, ils deviennent des mythes pour vérifier notre part de vérité. Au fond l’Amérique de Dylan est toujours en chemin, à l’image de celle dont témoigna dans les mêmes années Hannah Arendt. Marcus souligne la dialectique dans l’œuvre dylanienne de deux figures fondatrices de l’Amérique – le puritain et le pionnier. Pour le puritain, l’Amérique est terre de mission, et l’homme est le champ de bataille où s’affrontent idéal de pureté et tentation du mal. Pour le pionnier, l’Amérique est le Nouveau Monde, le domaine de l’utopie, mais l’utopie ne peut se fonder que sur le meurtre du non-Blanc, et la liberté se transforme en liberté du marché : « How does it feel / To be on your own / With no direction home / A complete unknown / Like a rolling stone ». Bob Dylan conduit depuis 20 ans une « tournée sans fin », dont les étapes sont annoncées par les mêmes sempiternelles affiches qui semblent dater des années cinquante : Bob Dylan et son orchestre, en concert et en personne. Revisitant la route, car là se tient la possibilité de la tradition.

Franck DAMOUR

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