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Gérard Bocholier, Le poème exercice spirituel

(Ad Solem, 2014)

En intitulant ses deux recueils de poésie Psaumes du Bel amour (2010) et Psaumes de l’Espérance (2012), Gérard Bocholier posait radicalement l’épineuse question du je psalmique. Il justifiait ainsi l’appellation de psaume pour sa poésie : « Je pourrais le définir comme un prélude lyrique de la prière, une méditation préalable à l’invocation, un exercice spirituel qui s’efforce à la plus grande simplicité, dans la fidélité à l’Esprit qui l’a fait jaillir. »

Le poème exercice spirituel affine heureusement cette confuse identification entre parole biblique et parole humaine. Il n’est plus d’abord question de psaume mais de poème, sous forme d’aphorismes et non de quatrains en heptasyllabes. La vision du poème comme « exercice spirituel » n’est pas nouvelle, depuis la parution d’un important dossier dirigé par Max-Pol Fouchet dans la revue Fontaine (n°19-20 de mars-avril 1942), jusqu’à la récente reprise par la revue Sorgue (n°6 de 2006).

En huit chapitres, comme autant de jours de la création – le « faire » originel, ce Ποιω qui enfante toute expression « poétique » ultérieure – auxquels s’ajoute le Jour du Seigneur, Gérard Bocholier fait à son tour écho à l’expérience ignacienne, particulièrement à l’« application des sens » transcrite dans les Exercices spirituels. Du mystique au poète, il n’est qu’une Parole à recueillir, tout en tension devant le réel – « si peu de choses pour qu’il y ait un signe : éclair de soleil, échappée de vent, frisson d’herbe sur un tertre » – qui s’offre à eux imperceptiblement. Le poète est celui qui reçoit « l’appel irrésistible du vent » ; son accueil le rend second à tout ce qui est lui est donné, les bribes de quelque vent, la parole de grâce, le galbe d’un galet, la couleur marine, Dieu.

Tous les sens recueillent l’empreinte de la réalité offerte : « Il ne s’agit aucunement d’oublier le réel, mais au contraire de le vivre, de le sentir d’une manière suraiguë. […] L’exercice spirituel pourra s’élever et, en s’élevant, nous élever. » Le poète se rend transparent à ce qui l’entoure, à la voix perçue, aux mots qu’il couche sur le papier, à l’Écriture enfin, puisque le Λογος divin se fait σαρχ, chair sensible, imagée et rythmée.

Gérard Bocholier annonce inlassablement l’imminence d’une révélation, attendue toujours et toujours inattendue. Il est encore à s’incliner devant ces quelques grains de froment consacrés sur une pierre d’autel, contenant plus de Verbe que le vers le mieux formé. Cette impuissance du poète garantit la fécondité de sa quête devant l’Éternel : la glaise des mots et des silences – matière de l’exercice spirituel – est encore prosternation devant l’Inconnu. « Le seul acte poétique est celui du Créateur, qui fait être les choses par sa Parole ». La poésie tend à reproduire cet acte immémorial qui identifie le mot à l’objet, en une intime étreinte.

Mais le poète est face à une impasse s’il ne vise le dépassement, ou plutôt le recentrement au creux de l’absolue présence : « À mesure que j’écris ou que je lis le poème, j’invente le sacré qu’il recèle […] je me rassemble sur moi-même, en ce centre profond où Dieu est présent. » Dans l’Ancien Testament, le sacré désigne ce qui est mis à part, hors du monde des hommes. Comment le poème saurait-il l’inventer ? L’expression est ambiguë,

d’autant que l’auteur écrit plus loin : « Le poème ne confère aucun sacré. Il le recueille. »

« Surpris chaque jour par une floraison de sacré […]. Surpris surnaturellement quelquefois par son propre poème. » La première surprise appartient à la mystique, la seconde à la poétique. Comment comprendre alors la phrase de José Angel Valente reprise en finale : « Écrire, ce n’est pas faire, mais se loger, être là » ? L’écrivant est au contraire celui qui fait, qui fait entrer la présence dans des termes, des sons et un rythme, qui fait passer son expérience intérieure par l’épreuve du feu de mots ardents, jusqu’à retrouver la chaleur du réel. Car il reste le drame de la condition humaine dont l’auteur ne dit presque rien : le visage taciturne de notre vision endolorie, ce sang qui jaillit des tempes de l’humanité blessée, cette glaise de gloire et d’aveu qui recouvre ses membres, ce cri déchirant de l’homme dont la compagne est ténèbre… L’intuition poétique seule ne suffit pas, combien forte est son intensité ; il faut encore ‘‘l’encharnellement’’ définitif qui laissera sans voix. Ainsi la présence se fait chair langagière et parole vulnérable : « témoin de l’invisible, [le poème] est toujours dans l’Avent, qui est déjà une venue ».

 

Pierre Monastier

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