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Dans la nuit de ma nuit un diamant étincelle

Livre des Sources, de Gérard Pfister, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013

” Si vous voulez être éditeur, renoncez vous-même à écrire ». Tant d’exceptions éclatantes – Érasme, Blake, Balzac… confirment la règle de Gaston Gallimard, qu’elles deviennent la règle, à laquelle ne déroge pas Gérard Pfsister. On connaît l’éditeur d’Arfuyen comme poète et essayiste fécond, on le découvre romancier, avec un coup d’envoi qui est un coup de feu. Le livre des sources est de la dynamite. Mais il ne pulvérise les rochers que pour libérer les sources, car ce récit hors du commun, malgré ses enjeux graves, coule de source ; de sources plutôt, sans monolithisme. Limpide roman historique et métaphysique dont l’énigme est la confiscation par l’hitlérisme du plus lumineux courant de la pensée européenne, celui de la mystique rhénane… Ce n’est pas rien, mais à hauteur de ce Rien s’élèvent la composition, magistrale, et la réflexion, profonde, sur l’humanisme, sur la Lettre et l’Esprit – Heidegger et Hitler ne disaient-ils pas, apparemment comme Maître Eckhart, que l’homme est Dieu ?
Le destrier de la couverture ne sort pas du belliqueux Armorial de la Toison d’or, mais du Codex Manesse, recueil de poésie courtoise allemande du XIIème siècle. La robe du chevalier est unie à celle du cheval, leurs heaumes identiques surmontés d’une perruche turquoisine, oiseau qui apparaît, selon la symbolique médiévale, lorsque nous risquons de nous tromper de direction. Subtil préambule iconographique à l’une des questions du roman : la thèse heideggérienne selon laquelle l’humanisme, ancré sur la conception aristotélicienne de l’homo animalis, pense l’homme trop pauvrement parce qu’il le pense à partir de l’animalitas, et non pas en direction de son humanitas ! Le cavalier ressemble à sa bête, il se dirige pourtant dans la direction la plus humaine qui soit, le roman le montrera. L’image est l’icône du livre : ce que l’on ne peut dire de façon philosophique, sous peine d’être banni de toutes les bibliothèques, ne le taisons pas, confions-le à la littérature. Tel fut toujours son privilège : dire l’indicible et l’indisable. Ce livre n’est pas un réquisitoire, c’est une belle et vraie histoire. Seul le protagoniste, historien français tué par la Gestapo, est fictif, mais il porte en lui mille frères réels.

Le souffle d’une écriture sobre nous emporte au XIVe siècle sur les Hautes Terres où se créa la mystérieuse Communauté des Amis, rassemblant une dizaine d’hommes de bonne volonté, d’origines sociales, ethniques et religieuses variées ; l’auteur vit tout près, et le village alsacien d’Hohrod aux consonances hébraïques existe vraiment. Mais ce Vrai Lieu ne s’ombre pas des connotations mortifères du Heimat. Le lieu pourrait en être un autre : les Amis prirent soin d’effacer leurs traces…

Textes et documents inédits sont convoqués avec brio. On donne souvent comme preuve de l’implication nazie de Heidegger son cours de 1934/35. Gérard Pfister cite des déclarations antérieures du penseur, autrement effarantes. Il s’agit bien d’une enquête historique : les propos de Heidegger, les éléments de la vie de Jean Tauler, de Marguerite Porète, sont factuellement vrais ; mais aussi d’une hypothèse, d’une reconstruction captivante, convaincante : comment l’expérience mystique de la Communauté fut-elle biaisée par les puissances religieuses, financières, culturelles – « médiatiques » dirions-nous – de l’époque, puis altérée par l’idéalisme allemand, enfin pervertie par Heidegger et Hitler, la joie eckhartienne s’inversant en folie, violence et ténèbres ? Comment l’humanisme européen fut-il contaminé dès sa naissance par la déshumanisation secrète de la culture et de la philosophie ?

Cette clarification d’utilité publique n’est même pas polémique, Heidegger ne fait pas l’objet d’une reductio ad Hitlerum de plus. Des mots terribles sont avancés, des atrocités rappelées, des hommes et des institutions mis en cause, mais le texte est bien plus que polémique, il se trouve à une autre profondeur. À profondeur de source. Il ne nous invite pas seulement à relire Maître Eckhart, mais à monter vers le Haut Pays, c’est-à-dire à descendre en nous.

Claire Vajou

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