Charles Péguy, dir. Camille Riquier
(Les cahiers du Cerf , 2014)
Dans la floraison de publications sur Charles Péguy en ce centenaire, jusqu’à présent deux sortent du lot. Il y a le livre lumineux de Benoît Chantre, Péguy, point final (Le Félin, 2014), salué comme il se doit par beaucoup et sur lequel je ne reviendrai pas. Et il y a ce collectif, cette œuvre collective, dirigée par Camille Riquier (qui a aussi dirigé pour Nunc un dossier sur Péguy en février dernier, dans le numéro 32). Pour l’occasion, les éditions du Cerf ressuscitent la revue de leurs origines – La vie spirituelle – sous la forme des « Cahiers du Cerf ». Sans être un sommet de publication, leur papier épais et leur forme robuste rappellent quelque peu les Cahiers de la Quinzaine et viennent saluer dignement non pas la mémoire, encore moins la mort, mais la vie même de la pensée de Péguy.
Et, pour dire la vie de la « pensée Péguy », il s’agit de dire « Péguy philosophe », une pensée qui saisit chacun à son heure : comme le dit Bruno Latour, « chacun ouvre Péguy seul.» Ce n’est, hélas, pas souvent vrai, tant les gangues exégétiques enferment Péguy dans le national, le terrien, le socialiste, le dreyfusard, le converti, le héros de 14, etc., etc. Aussi fallait-il sans doute prendre un levier qui permette de déplacer tout cela, et celui de Péguy comme philosophe est des plus efficaces comme les contributions de ce beau dossier le montrent. Péguy philosophe car il met en branle nos pensers, il invite à la reprise – nombre de contributions ne font pas l’économie du style, de ce style entêtant et encharnant –, sans jamais chercher à « faire du Péguy », principal écueil.
Chacun de ces face-à-face part de questions de Péguy – la mémoire, la répétition, l’histoire, la modernité, la langue, le spirituel, etc. – et de celle du contributeur, qu’il s’agisse du langage pour Alexandre de Vitry, de la sortie de la modernité pour Bruno Latour, des rapports entre science et vérité pour Isabelle Stengers, etc. Les liens aussi se tissent entre Péguy et ses « contemporains », de Bergson à Deleuze, de Bernanos à Jaurés, de Pascal à Jünger (et j’en passe), dans cette temporalité si essentiellement paradoxal au sein de laquelle Péguy nous renvoie : « Une révolution est un appel d’une tradition moins parfaite à une tradition plus parfaite, un appel d’une tradition moins profonde à une tradition plus profonde, un reculement de tradition, un dépassement en profondeur. »
Que « chacun ouvre Péguy seul », c’est bien certain, mais lorsque cela se vit dans un collectif aussi cohérent, alors la solitude se fait ressourcement.
F. D
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