LIMINAIRE
Dans quel épuisement vivons-nous ? Quel est cet à-bout-de-souffle qui nous tient lieu de vie ? Rarement les horizons auront été aussi impossibles, pas de quoi joindre la mer et l’éternité. La quête d’Ulysse se serait-elle égarée, vidée, abandonnée ? Pourquoi tant de procurations, de substitutions, de prothèses ? Depuis un demi-siècle, nous nous sommes arrêtés, la béance a été colmatée à coup de cloisonements, de néo et de post. La nuit fut pourtant assez sombre : nous préférons lui fermer nos yeux.
Nunc.
Des revues paraissent. Beaucoup — trop. Avec ou sans position, plus ou moins fines, raffinées. Avec ou sans déclarations d’intention. Avec ! Que diable ! Alors :
Sortons du livre des fuites, faux livre et fausse parole. Et s’il faut le brûler, brûlons-le ! Les bûchers menteurs du siècle passé, n’auront pas tué le feu qui libère, le feu qui exprime du charbon le diamant.
Oui-Oui, Non-Non : Nunc veut choisir, sortir de la neutralité, tirer la langue aux Partis de l’Intelligence, ceux qui sont ne-utrum, ni l’un ni l’autre, qui se veulent arbitres avant d’avoir combattu. Que toute la raison ne s’épuise pas dans le raisonnable, que toute l’imagination ne puisse limiter le réel, c’est une ouverture qu’il faut saisir, vers le commencement, vers le coeur. Du livre des Commencements, Nunc se veut une ligne, un fragment entre deux respirations, une réanimation. Avec la foi et l’enthousiasme des fous, des bâtisseurs de rêves. Nunc s’avance à découvert, nue, à travers la chambre des désirs, les découvrant à chaque mesure. Et Nunc désire sans fin.
Nunc est un corps musical. Une partition comme une palpitation. Peut-être un couac dans un concert, mais le concert que l’on attend est muet. Elle est cette mélodie qui nous parle quand tout s’est tu autour. Elle est la voix intérieure. Elle est la voix qui cherche le chemin, le chemin qui mène vers le centre.
Nunc est une femme qui aime les hommes. Elle est une âme errante qui cherche un corps, celui de l’Europe, & du poète & du fidèle. Une revue comme un drap dans la bourrasque, un drap sans fibule. Un corps drapé d’espérances.
Nunc est une danse sacrée.
Elle aime la lumière et l’ombre ; toutes deux la nourrissent. Elle veut atteindre ce qui consume. Se confondre avec le feu. Lui importe plus que tout le sublime. La sublimation. Non pas le ciel contre la terre, mais le ciel et la terre. L’axis mundi.
Nunc est poétique parce qu’elle rêve l’impossible. Elle est un défi à l’absence, au vide, à l’insensé, au muet. Elle cogne le silence. Elle veut la poésie, un moyen d’appréhension et de connaissance totales du monde, parce que tout procède d’elle, et revenir à tout implique de passer par elle. La poésie comme une force tendue vers, une convocation du mystère et sa rencontre asymptotique. Le poème comme une Sainte Cène ; une prière aussi, une révolution intérieure, une conquête intérieure.
L’Europe comme un poème. Une épopée européenne. Nunc est là où (se) joue le sens. Elle est une entreprise européenne de bâtiment public : une reconquête de la langue, une reconstruction imaginaire du réel. Pour créer du réel. Pour créer demain. Une conquête épique. Parce que la fracture politique, aujourd’hui, est européenne, et elle détermine les autres. Ou bien l’on est du côté du repli identitaire et, dans une certaine mesure, de l’Etat-Nation, ou bien l’on est du côté de l’Europe. Nunc, citoyenne d’Europe
Nunc conjugue les verbes de mouvement. Courir, s’enchevêtrer, écrire, donner, s’unir : un même mouvement vers l’avant. Si sur le chemin, quelqu’un approche ; l’emmener le temps d’une courbe course commune ; conjuguer ensemble les verbes de l’élan, toujours plus loin, au point de rupture où apparaît et disparaît… mystère qui laisse en fragments les matériaux de l’Histoire.
Nunc n’a pas d’âge, n’est pas un miroir d’aujourd’hui et ne cueille pas le jour, car elle sait l’urgence de l’ouvrage à mettre en œuvre. Sur la brèche, Nunc déborde demain, que fécondent hier et l’intuition créatrice.
Nunc, pétrie de paradoxes, de manques ; mais en allant progresse vers. Sans arrivée, à l’infini, car rien n’est jamais acquis ; importe dès lors le mouvement, en un geste esquissé comme s’il était le dernier. Un geste d’espérance & de foi & de charité abrahamiques.