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La conjugaison des places amoureuses

5,0014,00

DARRAS Jacques
2009
Disponible en version papier / numérique

UGS : ND Catégories : ,

Extrait

Plus au Nord, dans une ville au-delà la frontière, existe une célèbre place au sol descendant de manière accentuée en sens oblique sans qu’aucune rivière, du côté latéral le plus incliné, commande ou justifie une telle inclinaison. C’est la folie de la communauté seule qui est responsable de cette disposition. Ici les pignons sont coiffés d’or peint à même les moulures ou sculptés en forme d’animaux tels que cygne ou chevaux ailés emportant quelque empereur à la conquête chimérique des nuages. Vue d’au-dessus, la société d’en bas, c’est-à-dire la foule sur la place, faite de touristes des quatre coins du globe déambulant au milieu des bouquets de fleurs, glaïeuls ou chrysanthèmes, ainsi que de coulons roucoulant dans leurs cages, l’œil arrondi en forme de rêve, a, en vérité, la tête en bas, cependant que son image corrigée dans le droit sens de la hauteur se promène dans la proximité des cimes, dans un hétéroclite jardin composé d’un mobilier de vasques, de vases et de statues de déesses florales ou vertumnales, pesamment immortalisées dans le marbre. Si l’on ajoute que devant telle balustrade entourant le perron de l’ancien Hôtel qui fut construit, face à la Maison Communale, par les très extravagants Grands Ducs d’Occident, rivalisant en folie et en largesse avec les bourgeois des corporations, eurent lieu directement à l’épée quelques décapitations fameuses comme celle du comte d’Egmont, on comprendra que la tête, au milieu d’un tel décor, perde très spontanément sa prééminence dans l’ordre de la hiérarchie statuaire mais aussi bien statutaire pour occuper plusieurs autres postes possibles d’excentricité. Vicerégale déléguée aux colonies lointaines, elle ouvre une vacance dont le reste du corps profite, installant une sorte d’aristocratie désordonnément égalitaire à sa place. Mais derrière cette folie de façades, comment expliquer que la Ghilde des estaminets à bières de soleil ou cafés noirs comme une prophétie, donne le sentiment d’un dilatement et d’un tournoiement de danse où chacun simultanément tiendrait la place du roi ?

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C’est au Nord que la Folie a été faite femme. C’est dans la proximité du tremblement de la petite aiguille magnétique que l’amour a été encagé dans cette intempestive boussole au bas du ventre de la femme, cette petite boîte noire par laquelle tous les granits masculins sont affolés. Résister à l’aimantation est non seulement chimérique mais une folie encore moins raisonnable que celle qui consiste d’avance à ne pas résister. Ici au Nord commence le royaume de la Folie, aussi démocratiquement ouvert à chacun et à tous que l’une de ces innombrables places publiques s’ouvrant de toute leur philosophie communale au cœur de la Cité. Commune ! Commune ! retentit tout à coup l’alarme sous les arcades, et les esprits traduisent instantanément dans la langue archaïque amoureuse, que c’est la Maladie des Ardents, l’ardente fièvre qui aura éclaté. Défendus contre elle ils ne le sont, ne le furent, ni ne le seront sans doute jamais aucunement. Ils la connaissent par ouï-dire et par légende sachant seulement qu’elle revêt à chaque siècle de nouvelles formes plus mortelles. Ainsi raconte-t-on à son propos que dans l’ancienne ville d’Arras où est cette merveilleuse suite de Places articulées entre elles comme par un Jeu, deux trouvères ennemis furent convoqués par le truchement d’une vision, naguère, à la cathédrale, et en compagnie de son évêque y jeûnèrent jusqu’à temps que la Vierge en personne leur apparût à tous trois, à l’heure de minuit. Itier le Wallon, Normand le Béthunois, pliant leur intimité à la prédiction mariale virent donc la Vierge descendre dans un rayon de lumière vers eux, portant à la main un Cierge dont la cire miraculeuse diluée dans l’eau, leur dit-elle, les aiderait à soigner la Fièvre des Ardents. Sortis du songe les deux trouvères firent comme enjoint et guérirent un hôpital de gueux de leur tourment, excepté – car la Folie bien entendu se doit en toute circonstance de garder son Fief relativement intègre – excepté donc tel esprit fort qui préféra sa bouteille de vin à la potion cireuse de Notre Dame et en mourut.

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Version

Papier, Numérique