PATERNITE
BOISSOUDY (de) François
80 p., Broché, Texte F. Hadjadj. 60 ill. couleurs
Extrait
[...] « Et pourtant Philippe n’a pas tort de demander à Jésus : Montre-nous le père, et cela nous suffit. La mythologie nous a appris qu’il serait non moins malheureux de ne pas voir le père au point de ne plus le reconnaître. C’est ce qui arrive à Œdipe. Il écharpe Laïos parce qu’il l’a pris pour un passant qui voulait l’écraser. On ne tue le père que pour ne l’avoir pas vu comme tel, si bien que dans une suite de quiproquo, on prend sa mère pour la princesse de ses rêves (à moins que ce ne soit l’inverse), et l’on ne devient clairvoyant qu’après s’être crevé les yeux…
Mais la faute est moins à Œdipe qu’à Laïos lui-même. Le mal est moins qu’Œdipe ait tué son père, que son père n’ait pas voulu mourir. S’il ne s’était pas protégé à tout prix contre l’oracle de Delphes, s’il avait élevé son fils malgré l’annonce qu’il le tuerait et qu’il épouserait sa mère, le quiproquo n’aurait pas eu lieu, ni l’inceste ni le parricide, peut-être. Le père aurait été vivant pour n’avoir pas eu peur d’être assassiné par son enfant, et l’oracle se serait accompli, comme toujours, selon une autre interprétation, plus ironique (Œdipe aurait par exemple « tué son père » au sens où il l’aurait surpassé en bonté, puis épousé une fille dont le nom de famille aurait été « Samère »…). Comment comprendre ce mystère plus simple et plus difficile que les énigmes du Sphinx ? Comment peut-on montrer le père sans le découvrir, le reconnaître sans figer son image en héros ni en zéro ni en père fouettard ni en papa-gâteau, enfin le voir sans le voir ? » [...] F. Hadjadj