97, rue H. Barbusse 92110 CLICHY

Distribution : HACHETTE | Diffusion : Réginald Gaillard | gaillard.reginald@gmail.com

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Revue NUNC n°38

10,0022,00

Edition standard
Parution février 2016
Disponible en version papier / numérique

UGS : ND Catégories : ,

Description

Dossier consacré à MARITAIN Jacques
Avec des oeuvres de TERRIER Jean-Claude

Informations complémentaires

Version

Papier, Numérique

SOMMAIRE

Cette livraison est accompagnée de dessins de Jean-Claude Terrier

LIMINAIRE

Réginald Gaillard Alors le silence fit signe

Abdellatif Idrissi Ça ce n’est pas l’islam… L’islam, c’est tout ça !

AXIS MUNDI 

Giuliano Scabia L’ascension de la montagne Etna avec vision de feu. Trad. Roland Ladrière

DOSSIER JACQUES MARITAIN

Michel Fourcade Introduction

Jacques Maritain Carnets – années 1929 et 1930

Sylvain Guéna Maritain, les poètes et la poésie

David Bugne Foi et poésie : une communauté de destin. Extrapolations maritainiennes

Florian Michel Règle de vie et sainteté : Jacques et Raïssa Maritain spirituels

J. et R. Maritain La « Règle de vie » des Maritain

Claire Bressolette L’étendard de Jeanne ou la philosophie comme style selon Jacques Maritain

Michel Fourcade Raïssa Maritain et Abraham : aux origines de la morale 

SHEKHINA

Jeanne Bernard-Amour « Je plaide la cause du plus absolu des baisers ». À propos de Marina Tsvetaeva

Werner Lambersy Lettre à un vieux poète

OIKOUMÉNÈ

Judith Chavanne & Jean-Pierre Lemaire Discours de remise du Prix du premier recueil

Christophe Langlois Se laisser faire par l’amour

Thierry Romagné Pêche miraculeuse

Cécile A. Holdban Poèmes

Jaromír Typlt Fragment B 101 – Traduit par Denis Molčanov

Brice Bonfanti L’homme foyer

CAHIER CRITIQUE

à propos de Bertrand Lacarelle – Étienne Fouilloux et Michel Fourcade – Maria Villela-Petit

LIMINAIRE

Alors le silence fit signe

Cela, réellement, eut lieu en France, voici maintenant quelques années. Ce qui m’amène à penser que tous les espoirs, en dépit des apparences, sont permis – d’ailleurs, ne faut-il sans cesse entrer dans l’espérance ?

Un mercredi de Mai, en Sorbonne, cours sur Descartes dans le grand amphithéâtre. Le professeur J-M *** achève sa conférence magistrale et dit : « Demain, bien sûr, nous ne nous verrons pas. À vendredi, donc ». Intrigué, Pierre, l’un des meilleurs étudiants, décide, afin de justifier son approche, d’aller poser au professeur une question, mais avec l’intention en réalité de lui demander pourquoi le lendemain il n’y aurait pas cours. De plus, la façon que le maître avait eu d’annoncer cette nouvelle lui avait paru étrange ; cela l’avait d’autant plus incité à en connaître la raison. Pierre rejoignit donc son professeur et, une fois achevée leur discussion d’ordre philosophique, l’interrogea. Le professeur sourit. Une petite lumière voila son regard. Il ferma son sac, se dirigea vers la sortie, légèrement voûté, d’un pas serré, déjà retourné à ses pensées. Pierre le suivit et insista, mais pour toute réponse le maître lui fit un signe de la main en guise d’au revoir.

Dehors, la lumière du printemps vivifiait les corps des jeunes étudiants. Les rues bourdonnaient comme si l’on était en fin de semaine. Les bars se remplissaient. La rue se riait du tragique de la vie.

Rentré chez lui, Pierre ouvrit son agenda et vérifia le programme de travail qu’il s’était fixé pour la soirée et les jours suivants. Au jour du jeudi, le lendemain donc, il lut : « Ascension ». L’agenda glissa de ses mains. Son regard se planta, devant lui, dans le mur blanc. « Comment n’ai-je pas pensé que demain serait la fête de l’Ascension, et que ce jour est donc férié… ».

Un grand trouble envahit Pierre. « Comment se peut-il que ce calendrier qui structure notre temps depuis tant de siècles n’ait plus aucune signification au point de s’effacer de ma mémoire ? Pourquoi n’a-t-il plus de sens concret dans mon quotidien ? »

Pierre sortit. Besoin de marcher, de respirer. Le boulevard Saint-Germain était plus animé encore qu’une heure plus tôt, lorsqu’il était sorti de cours. Il descendit vers la Seine, par la place Saint-Michel, traversa le parvis de Notre-Dame envahi d’une foule de touristes à travers lesquels il passait sans se soucier de leur présence, l’esprit tout occupé de ce mot, Ascension, qui résonnait dans sa tête comme si une autre voix le prononçait.

Bien sûr, il en connaissait la signification. Il n’était pas si inculte. Ce qui le perturbait était de l’avoir oublié. Il en éprouvait une certaine honte et l’impression, aussi, d’avoir trahi quelque chose, quelqu’un.

Il est vrai que ni sa sœur ni lui n’avaient reçu d’éducation religieuse – ils n’avaient pas même été baptisés. La religion, pour ses parents, appartenait à un ordre passé. à la rigueur la tolérait-on, à condition qu’elle restât à sa place – mais c’était sans compter sur la Grâce qui, elle, n’a d’autre place que celle qu’elle se choisit…

Pierre marcha toute la nuit, lentement, tête enfoncée dans les épaules comme s’il avait eu froid. Il franchit le pont d’Arcole, ignora l’hôtel de Ville, remonta la rue de Rivoli. Au milieu de celle-ci des jeunes étaient attroupés devant un escalier qui descendait vers une large porte. Pierre connaissait cette boîte de nuit pour s’y être laissé entraîné quelques fois. Il se mêla au flot de cette jeunesse hilare qui déjà se trémoussait aux rythmes des basses dont vibrait la salle. Pierre, taciturne, leur était déjà étranger. Aucune envie de danser ; pas même celle de cueillir une jolie fille. Une fois entré, il se dirigea vers le bar et commanda un whiskey. Plusieurs whiskey. L’alcool est la meilleure fuite en avant. Et pour voir clair en lui, il ne voulait plus être en état de raisonner. Il lui fallait voir autrement.

Puis il retourna à la nuit, plus calme, mais toujours prisonnier d’un labyrinthe, regrettant de n’être pas assez saoul, car son esprit gambergeait encore. Il atteignit la place de La Concorde, qui le fit sourire, lui qui connaissait un désordre intérieur qu’il ne s’expliquait pas. Il descendit sur les berges du fleuve dont il aimait la puissance incontrôlable. Il accompagna longtemps de son pas les eaux aussi noires que celles de sa nuit, puis remonta sur la chaussée, au-delà du Musée d’Orsay. Il retrouva la rue de l’Université ; jeta un coup d’œil à la façade de la NRF dont il a tant de livres sur les rayonnages de sa bibliothèque ; puis la rue Jacob, la tumultueuse rue Saint-André-des-Arts, et finit par remonter dans sa chambre, rue Casimir Delavigne.

La fatigue ne le gagnait toujours pas. Il ouvrit son dictionnaire encyclopédique au mot Ascension, nota les références à saint Luc et aux Actes des Apôtres qu’il s’empressa de lire ensuite. Puis, passant de définition en définition, d’évangile à apôtre, de testament à résurrection, etc., il nota les noms qu’il glanait au hasard de ses lectures : Irénée de Lyon, Tertullien, les Grégoire de Nysse et de Naziance, Augustin, Jean Chrysostome, Grégoire le Grand, Jean Scot Erigène, Thomas d’Aquin, Duns Scot, les mystiques Flamands et Rhénans ; et de file blanc en aiguille fine, en quelques heures, c’est quinze siècles d’histoire de la pensée occidentale qui surgirent sous ses yeux, dont il n’avait eu, jusque-là, aucune idée – le lycée et l’université délaissant ces siècles obscurs.

Après quatre ans de travail acharné, alors qu’il était considéré par ses professeurs comme l’un des plus brillants de sa promotion, Pierre ne remit jamais les pieds à la faculté de philosophie. Je crois même qu’il en voulait à J-M*** de n’avoir jamais évoqué ces penseurs dont il ne connaissait pas même le nom, excepté l’Augustin des Confessions. Il vécut plusieurs mois au Moyen Âge, plongé dans les querelles théologiques qui émaillèrent ces siècles : la querelle monophysite, l’iconoclasme, la prédestination, le fameux filioque de la sainte Trinité…

Un dimanche qu’il était allé à la messe, plein de curiosité mais aussi d’appréhension car il craignait d’être déçu, il rencontra le prêtre de la paroisse après l’office et lui demanda le baptême. Ils eurent une longue discussion qui s’acheva après le dîner. Le prêtre comprit qu’il n’était pas nécessaire de lui faire suivre l’année de préparation et le baptisa, cette même année, lors de la veillée de Noël. Le 25 décembre Pierre retourna voir le prêtre et lui demanda d’être ordonné le plus rapidement possible. À cela celui-ci répondit qu’il fallait au préalable passer par le séminaire et suivre les six années de philosophie et de théologie. Pierre eut beau faire valoir ses quatre années d’université, et ses longs mois d’études personnelles enfermé dans sa turne comme un moine en sa cellule, rien n’y fit. Il ne pouvait se soustraire à la règle. Alors il se rendit à Beyrouth, où il suivit une formation accélérée en deux ans à l’université maronite. De retour à Paris, son évêque enfin accepta de l’ordonner, et lui confia une paroisse du IVe arrondissement.

Voilà l’histoire de Pierre le Taciturne, celle aussi du silence efficace de son vieux maître de philosophie.

Laissons le silence agir. Son efficacité est insoupçonnable. Mais peut-être ne somme-nous pas encore tombés assez bas ; ne nous sommes pas encore assez dégradés pour nous mettre à son écoute.

Quelques instants avant la première messe que Pierre dit, un vieil homme s’approcha de lui. Pierre fut ému aux larmes lorsqu’il reconnut son vieux maître de philosophie.

– D’habitude, mon père, je lis l’épître de Paul. Pourrai-je encore la lire, lui demanda le vieil homme ?

– Bien sûr… bien sûr. On ne change rien.

DOSSIER

Dossier consacré à MARITAIN Jacques

GALERIE

Avec des oeuvres de TERRIER Jean-Claude