Description
Dossier consacré à TARKOVSKI Andrei
Avec des oeuvres de ROZIER Nicolas
Un numéro spécial consacré au grand cinéaste Andreï Tarkovski.
Contributeurs
EGGER Michel-Maxime
BRANTES (de) Charles-Hubert
SZCZESPANSKA Maja
DEBIDOUR Michèle
GIRARD Bruno
GAILLARD Réginald
CLEMENT Olivier
DAMOUR Franck
ASENSIO Juan
MOUZE Christian
ILLG Jerzy
NEUGER Leonard
SALVESTRONI Simonetta
SCHOBINGER Isabelle
MARGUIN Franck
EVLAMPIEV Igor
CHION Michel
GUEIT Anne-Marie
DURBEC Sylvie
TARKOVSKI Andrei
TARKOVSKI Arséni
LIMINAIRE
Andreï Tarkovski ou l’art comme une prière.
Franck Damour
Pour la première fois, Nunc consacre l’intégralité d’un numéro à une figure. Qu’il s’agisse de Tarkovski n’est sans doute pas un hasard. Il y a bien entendu une occasion : voici vingt ans le génial réalisateur russe en exil mourrait à Paris d’un cancer des poumons. Il y a aussi des parcours : Tarkovski appartient à la sphère de Nunc, il a marqué le chemin de certains des rédacteurs, il est souvent resurgi au fil des rencontres provoquées par la revue, si bien qu’un des adjectifs possibles pour qualifier la revue pourrait être tarkovskienne, ou stalkienne. Cette affinité mérite explicitations.
Tarkovski est d’abord un homme de la verticalité, il est porté par le souci que l’homme n’est non seulement achevé, mais tout simplement rendu possible qu’à la condition de méditer, penser, décliner son intime transcendantalité. Ensuite, il s’est confronté au long de sa vie à des questions que Nunc ne considère pas comme mortes, « has been », éculées, comme un nihilisme de paillettes et de misère morale le laisse entendre : le sens de l’art, de la puissance créatrice de l’homme ; l’énigme de la beauté ; la fonction morale, éthique de l’artiste. Homme inspiré, Tarkovski nous provoque enfin dans la question de la dimension religieuse : qu’est-ce qu’un enracinement religieux, qu’un héritage culturel ? De culture chrétienne, Tarkovski n’est pas pour autant simplement chrétien, et on ne saurait impunément lui apposer l’étiquette d’« artiste chrétien ».
Enfin dernière pierre pour expliciter ce qui peut l’être, Tarkovski n’est pas simplement un cinéaste, et son père, le poète Arseni Tarkovski, l’avait idéalement défini : « ce ne sont pas des films que tu fais ». Ces films posent la question de la nature de la poésie, de ce qu’est une œuvre poétique. Aussi avons-nous choisi de tendre ce numéro par la récurrence de la voix poétique d’Arseni Tarkovski, en écho aussi à cette récurrence des poèmes du père dans les films du fils. Tarkovski qui s’est toujours efforcé de cerner la nature exacte du cinéma (un art qui sculpte le temps) en a aussi en même temps touché si bien les limites que ses films pourraient aussi bien être considérés comme de purs poèmes, tantôt lyriques, tantôt oniriques, jamais discursifs.
DOSSIER
Cet ensemble autour de Tarkovski et de son œuvre ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous avons délibérément choisi de questionner la dimension spirituelle de cette œuvre. Tarkovski en a explicitement, surtout à la fin de sa vie, revendiqué l’ambition, et elle est évidente. C’est aussi ce qui a pu un temps gêner la réception occidentale de ses films. Les tentatives de captation sous telle ou telle étiquette n’ont pas non plus manqué, Tarkovski a pu lui-même y prêter le flanc. Et pourtant la spiritualité tarkovskienne demeure énigmatique. Elle ne fuit pas la lumière et l’affirmation, elle échappe seulement à toute approche trop univoque.
Andreï Tarkovski ne s’est jamais dissocié de l’artiste : il n’y a pas de mystère sur sa vie, les éléments biographiques nourrissent directement ou non son œuvre. Ce caractère entier de la personne apparaît pleinement dans le passionnant entretien qu’il a accordé en 1985 à un journaliste polonais et un universitaire suédois, dont nous publions ici la première traduction intégrale en français. Les portraits dessinés par Charles H. de Brantes ou Olivier Clément aident à mettre en perspective cet entretien.
« Ce ne sont pas des films que tu fais » : comment entrer dans l’œuvre du cinéaste ? Les textes ici rassemblés multiplient les angles de vue, sur l’ensemble de l’œuvre, puis sur deux films qui nous ont semblé d’une urgence particulière, Stalker et Le Sacrifice. Certains proposent des analyses serrées des films de Tarkovski, comme aptes à délivrer par eux-mêmes le sens du geste tarkovskien (Michel Chion, dont nous republions un texte pionnier de la réception française de Tarkovski ; Michèle Debidour analyse un passage clef d’Andreï Roublev ; Franck Marguin décèle Tarkovski dans le miroir d’un film de Terence Malick). D’autres ont tenté de décrypter A. Tarkovski au crible de ses racines russes ou chrétiennes (Maya Szczepanska s’efforce de placer Tarkovski dans la lignée des philosophes et écrivains russes des XIXème et XXème siècles, prolongeant un peu les travaux d’Igor Evlampiev dont nous donnons un aperçu ici ; Simonetta Salvetorri interprète Le Sacrifice à travers des thématiques propres au roman russe et en premier lieu à Dostoïevski ; Bruno Girard interroge le statut iconique de l’image dans Stalker ; Maxime Egger fait appel à la tradition spirituelle et ascétique de l’Orient chrétien pour interpréter le cinéma de Tarkovski). Une troisième voie enfin est ouverte sur une lecture participante, stalkienne peut-être, où il ne s’agit plus d’analyser ou d’interpréter, mais d’emprunter les pas du cinéaste (d’un côté, Juan Asensio et Franck Damour, dans un registre encore interprétatif ; de l’autre, Luca Governatori et Gilles de Nilly, comme prolongeant la vie de l’œuvre).
La dernière partie de ce numéro contient le synopsis de ce qui allait devenir Le Sacrifice, texte jusque là inédit. L’écart entre ces deux pages et le film montre clairement l’impossibilité de définir totalement la démarche artistique et spirituelle (pour lui, c’est tout un) d’Andreï Tarkovski. Nous voudrions y lire un appel et une promesse.
Dossier consacré à TARKOVSKI Andrei