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Hauts sont les monts

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Description

Présente à la voix qu’elle salue inauguralement par les vers de la Chanson de Roland – redonnés à entendre dans leur ancien français originel –, tout en rompant de façon inouïe avec ce lignage, Bernadette Engel-Roux inscrit le chant ample de Hauts sont les monts sur un axe vertical double : celui qui, dans le monde, mène vers des sommets, celui qui, dans la langue, regarde en amont un corps millénaire et immémorial, et descend en aval le torrent de sa propre voix. Cependant que, sur un axe horizontal, se dessine un parcours, une errance, une tension inquiète de son vertige face à la cruelle splendeur du monde. Brèche et bouche, le Nom Roland choisit d’y venir dire sa mort exaltée. En ces espaces vastes, qui exaltent et terrifie, Bernadette Engel-Roux trouve son vrai lieu, les hautes salles à même de donner résonance à sa voix, en la distrayant de sa part nocturne.

Article de Henri Raynal, paru dans Autre Sud. : Hauts sont les monts, de Bernadette Engel-Roux, éditions de Corlevour

« Versants de terre et de brûlure où le printemps fera ses amandiers, quand l’arbre sobre lape l’eau à son lit de cailloux », « pépiage des eaux roulant labiales heureuses sur les galets lavés, sur les graviers mouillés ruisselant frai d’étoiles », « la forge où s’embrasent les roches quand le soleil fendant les monts fait cent épées de feu trempées à l’acier des torrents ». Pourquoi ces allitérations, cette diction affirmée, appuyée, cette dure ferveur ? Pourquoi une insistance qui, en ce qui concerne les sons, produit, si fréquente, l’itération des consonnes ? « La nuit crispe dans la forêt la reptation de ses racines. », « soudain claque la langue d’un glacier ». Pourquoi ce dire aux dents serrées ? Parce que la poésie de Bernadette Engel-Roux est tendue par le défi qu’elle entend relever. La montagne, si assidument fréquentée, tient en elle excessive place. L’énergie de présence qui en résulte, qui s’accumule, ne saurait demeurer prisonnière : qu’essaime le fastueux spectacle ! Le grandiose et la rudesse pressent le verbe, exigent témoignage. Le ton de l’épopée ne conviendra-t-il pas, pour ce dernier, à l’ampleur sévère des monts ? Cependant, pourra-t-on l’employer dès lors qu’il est question de la nature et non pas des hommes ? Qui plus est, l’époque saura-t-elle accueillir une parole qui tient son allure épique d’un enthousiasme dont la fougue est contenue, d’un emportement qui demeure manifeste bien qu’il soit dompté, d’une volonté vigilante déterminée à rompre la continuité de la phrase hymnique ou de la rêverie mélodique qui s’ébaucherait ? La difficulté sera merveilleusement tournée grâce à la fusion très intime de la célébration des hauteurs, des versants et des gorges, du minéral et des eaux bondissantes, avec l’évocation de l’ultime chevauchée de Roland. Halt sunt li pui, dit la fameuse Chanson : hauts sont les monts. Oui, comme l’est le courage des guerriers. C’est pourquoi la même éloquence rauque, de semblables intonations, une unique voix diront la vaillance des cimes, des abrupts, des torrents et celle, en leurs dernières épreuves, des preux. Vaillances devenues celle d’une langue à qui il faut se défendre contre le lyrisme auquel elle serait naturellement portée et qui doit satisfaire en même temps la double obligation qu’elle s’impose : innover avec hardiesse (peut-on décrire sans inventer ?), tout en ne s’écartant pas du spectacle au point de le trahir. Aussi, dans la voix de Bernadette Engel-Roux, s’entend une pongienne rage. Deux irritations s’y mêlent, l’une causée par la montagne qui, de toute sa dimension, de toute sa diversité (crêtes embrasées, illuminées, cascades, pierrailles, pelouses, étendues d’hermine), de tout son multiple propos qu’unifie le discours perpétuel du torrent, exerce sa terrible pression sur le dire ( or, à celui-ci elle résiste autant qu’elle le requiert !) ; l’autre par le verbe dont Bernadette Engel-Roux entend qu’il sache déployer, parcourir, rendre présent en son détail comme en son envergure, ce corps qui fascine, mais corps si vaste, si imposant, si varié qu’il semble que jamais parole ne sera à sa hauteur. Voix âpre, voix rude, parce qu’obsédée par le réel, parce qu’ambitieuse pour le langage à qui haute responsabilité est confiée – à la fois sois audacieux et juste ! –, voix lumineuse. Rare. Voix de véhémence émerveillée.

Henri Raynal